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Manifeste hypercalligraphique

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Par ce manifeste, je désire détailler un champ d’investigation graphique récent qui voit le jour depuis plus de deux décennies et qui s’intègre dans le domaine de la calligraphie contemporaine. Il s’agit de la calligraphie abstraite.

 

La calligraphie abstraite s’inspire des codes de la calligraphie traditionnelle, toutefois elle s’en démarque par une approche moins conventionnelle et par un résultat beaucoup plus libre. Le sens du texte s’efface et se perd. Les lettres et les mots deviennent illisibles selon les choix du calligraphe au profit d’un résultat graphique abstrait. 

 

Le calligraphe abstrait tant à créer une investigation graphique personnelle. Il ne recherche pas une perfection socialement admise par un travail acharné et répétitif visant à reproduire un style de lettre historique, mais il pourchasse une perfection toute personnelle et tente, par son travail, à mettre en lumière ses images mentales et ses propres conceptions de la calligraphie.

 

Le calligraphe abstrait brise les tabous et repousse les limites de la calligraphie. Il existe une quantité folle de types d’écriture dans le monde et une quantité encore plus vaste de polices de lettres dans un même type d’écriture. Peut-on faire plus vaste? Bien-sûr ! Le calligraphe abstrait réinvente son monde, crée son propre langage. Hérésie selon les uns, nécessité selon le calligraphe abstrait! Qu’en est-il de sa recherche? Abstracto-calligraphie gestuelle, proto-écriture répétitive, light painting, post-calligraphie, techno-calligraphie, mécano-calligraphie à l’aide d’outils improbables, destructuration calligraphique ou calligraphie synthétisée … A chacun son chemin et à chacun sa définition !

 

Mais une chose est sûre, le calligraphe abstrait ne se contente pas de facilité. Créer son monde calligraphique nécessite du travail, de la recherche, de l’abnégation. Rien n’est simple, rien n’est facile et rien n’est jamais gagné. L’échec n’est jamais loin! Par son désir de perfection et son exigence envers ses propres productions, Le calligraphe abstrait vit finalement une démarche de développement personnel très semblable aux calligraphes traditionnels. Le calligraphe abstrait n’est pas un renégat, mais un libertaire forcené de la calligraphie.

 

Le ductus parfait, graal des calligraphes, l’est aussi pour les calligraphes abstraits, à la différence que les codes sociaux ne sont pas forcément partagés. Les calligraphes peuvent s’accorder sur ce qu’est une belle anglaise ou une magnifique gothique. Le calligraphe abstrait sera son seul juge et ne devra répondre qu’envers sa propre estime de lui lorsqu’il proposera au public des oeuvres de qualité moyenne.

 

Même si la forme des éléments créés par le calligraphe abstrait est importante, il est généralement à la recherche du fond général de la composition. Nous pourrions appeler cela l’hyperductus, soit les liens, les lignes de tension et la dynamique générale des mouvements que les formes entretiennent entre-elles. Cette recherche est extrêmement présente chez le calligraphe abstrait et constitue pour lui un questionnement fondamental dans l’expression de son art. La composition est-elle tendue, intéressante, vivante ou molle, incohérente et sans liens? Le calligraphe abstrait juge les formes, mais il juge avec autant d’attention les vides entre les formes. Ces vides sont la respiration de la composition. En prenant en compte les vides, le calligraphe abstrait porte un intérêt particulier à l’invisible, et ce, pour rendre le visible extraordinaire !!! Quel paradoxe !

 

Le calligraphe abstrait est un inventeur. Son désir de repousser les limites graphiques est immense. Pour le satisfaire, il va créer ses propres outils et ses propres techniques de travail. C’est un bricoleur, un testeur…  Des heures de mise au point pour trouver le bon outil... ou... tout à coup! L’idée de génie, simple, efficace et parfaite! Construire un outil, c’est bien, mais bien l’utiliser c’est mieux. Le calligraphe abstrait va apprivoiser ses outils, découvrir leur potentiel graphique, puis les utiliser de manière complète. Parfois (souvent, mais il ne faut pas le dire), le calligraphe abstrait connaît l’échec. Combien d’idées, d’outils abandonnés, car ils n’ont pas donné satisfaction en phase de test et ne se sont pas montrés à la hauteur des espérances et des exigences. Toute technique est bonne, tant qu’elle n’est pas informatisée, pourrait-on dire, et quand bien même, pourquoi pas? Qui est-on pour poser des limites? Rien n’est facile, seule l’exigence compte! Le calligraphe abstrait ne se contente pas d’une plume et d’un papier. Il voit différemment, la toile pourrait devenir une rue. La plume peut évoluer. Pour certains c’est un cutter ou un rouleau, pour d’autres un néon, le carton, un pochoir, du scotch… Et pourquoi pas! Mélanger tout ça! Certaines techniques seront à coup sûr, jalousement conservées par certains calligraphes, d’autres, seront peut-être partagées. 

 

L’arrivée du graffiti a fait évoluer la calligraphie, mieux il a l’fait « exploser » créativement. Déchaînant une nouvelle envie de s’exprimer, un nouveau style, de nouveaux outils et de nouveaux supports. Toutefois, la volonté de communiquer est restée. Les lettres connues ont évolué, les formes ont changé pour devenir magnifiques: courbes tendues et angles acérés. De nouveaux codes sociaux sont nés. La calligraphie a profondément inspiré le graffiti. Aujourd’hui, comme un retour des choses, certains artistes nés de la rue ont développé leur propre langage, personnel et abstrait et pourtant, clairement tourné vers la calligraphie. Force est de constater, ceux-ci vont durablement influencer l’évolution de la calligraphie moderne.

 

Le calligraphe abstrait est à la recherche de liens nouveaux. Liens sur l’art urbain pourquoi pas, mais aussi liens sur l’art optique, sur la photographie, sur la recherche de la troisième dimension. Aujourd’hui, les calligraphes abstraits dépoussièrent et réinterrogent la calligraphie. Ce faisant, ils lui révèlent une profondeur et des affinités qu’elle ne se connaissait pas.

 

 

Pour la calligraphie abstraite, août 2015

 

Grégory Schulé

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